"C'est vers le financier gaspilleur, vers le bourgeois taquin et
avare que va, de siècle en siècle, la richesse des champs, des vignes et des
bois." regrettait Jean Jaurès en Juillet 1897, évoquant l’urgence d’une union entre les
différentes tendances du parti afin de faire du socialisme la réponse à ce
phénomène inévitable dans toute société capitaliste : la lutte des
classes. S’il revenait, il ne manquerait
pas de s’étonner de la manière dont se noue l’entente actuelle entre patronat
et syndicats, alors que ceux-ci sont plongés dans des négociations censées
aboutir à une nouvelle réforme de l’emploi. Des négociations qui se font autour
du terme inquiétant de « flexi-sécurité ».
Comme il semble loin, ce combat,
en ces temps bénis où le gouvernement socialiste pense avoir trouvé la réponse
historique a des dizaines d’années d’opposition entre ceux qui détiennent les
moyens de production, et ceux qui fournissent la force de travail indispensable
à leur fonctionnement ! Finies les chamailleries, finies les longues
disputes trop peu constructives : aujourd’hui, en pleine dynamique
austéritaire, c’est avec la bienveillance la plus touchante et la plus
désintéressée que le gouvernement prétend faire marcher main dans la main
patronat et syndicats, vers une « stratégie gagnant-gagnant » destinée
à « sécuriser » l’emploi.
Après ces dix-huit mois pendant
lesquels le chômage a explosé, on ne pouvait en effet que tomber d’accord sur
ce point : il était urgent de réinventer, de réorganiser le monde du travail.
Et naïfs que nous sommes, nous nous prenions à rêver d’un CDI qui redeviendrait
la norme, de la conversion des emplois précaires en emplois stables et
sécurisés, de nouveaux droits pour les salariés et les comités d’entreprises, d’une
allocation de recherche du premier emploi qui permettrait une insertion plus
sûre…
Mais nous ne savions pas alors
que nous avions affaire à un socialisme qui innove, et pour qui toutes ses
revendications semblant aujourd’hui si urgentes ne sont que peu de choses face
à cet élan neuf qui l’anime ! Bien décidé à redynamiser le marché du
travail, le gouvernement s’est donc jeté, entre autres, dans une
réactualisation hasardeuse des emplois-jeunes Jospin, donnant vie aux
« emplois d’avenir », contrats destinés à des jeunes peu ou pas du
tout qualifiés ayant entre 16 et 25 ans.
C’est avec surprise que nous
avons découvert ces emplois hybrides, qui étaient, selon les mots enthousiastes
de Michel Sapin, le Ministre du Travail, l’occasion pour plus de 400000 jeunes
désespérés de trouver de « vrais boulots en contrat à durée indéterminée
pendant une durée suffisante entre 1 et 3 ans ». Si on peut être tenté de
mettre cette étrange description sur le compte d’un lapsus des plus innocents, il
serait hélas peu avisé d’entretenir l’illusion quant à la nature réelle du projet gouvernemental:
ce qu’ils appellent des CDD éventuellement renouvelables au bout d’un an, ne
sont autres que des « emplois précaires de longue durée ».
S’il n’y avait que cette
nouvelle forme de contrats pour venir marginaliser encore un peu plus un CDI censé
être la règle mais devenant peu à peu l’exception (80% des embauches se faisant
déjà actuellement en CDD), on pourrait peut-être parler de mesure maladroite.
Mais force est de constater qu’elle vient s’ajouter à de nombreuses autres
initiatives du parti socialiste qui semble vouloir, lui aussi, apporter son
coup de maillet à l’entreprise de démolition du CDI déjà bien entamée par
l’alliance UMP-MEDEF il y a peu.
C’est en effet porté par cet
espoir suspect de mettre en place une stratégie « gagnant-gagnant »,
comme on l’a dit, que le gouvernement encourage plus que vivement les
négociations autour de la sécurisation de l’emploi, laissant le patronat
théoriser le concept de « peur d’embaucher », au nom duquel il
faudrait instaurer plus de flexibilité. Ainsi, selon les textes soumis par le
MEDEF au sein de la discussion actuelle sur la réforme du marché du travail, il
serait nécessaire de : « dédramatiser le licenciement » (en
facilitant les procédures que sous-entend ce dernier au sein de l’entreprise,
et en plafonnant les indemnités de licenciement), rallonger les périodes
d’essai, généraliser les contrats de
projets, et les contrats à durée
indéterminée intermittents (histoire de mettre ce bon vieux CDI derrière nous
une fois pour toute !), d’encourager le chantage à l’emploi à travers la
multiplication des accords dits de « compétitivité emploi »…
Bref, la messe est dite, et il
est inutile de continuer la liste. Aujourd’hui, le socialisme a mis un drôle de
masque : celui d’un gouvernement qui, sous prétexte de chercher le
compromis, permet au MEDEF de grignoter encore un peu plus les acquis des
salariés, et regarde le patronat mettre au cœur du débat une série de mesures
régressives, tout en demandant aux syndicats de signer un accord qui promet
destruction du CDI et précarisation grandissante de l’emploi. Pensée toute
entière autour de l’idée erronée selon laquelle les angoisses et les exigences
légitimes de travailleurs, qui ont de plus en plus de mal à trouver une certaine sécurité dans le monde du
travail, sont un « frein à l’embauche » qu’il est impératif d’ignorer
pour « relancer l’économie », la discussion en cours depuis Octobre
n’a aucune chance d’aboutir à quoique ce soit qui ressemble de près ou de loin
à une avancée sociale. Ou à un quelconque changement.
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