mercredi 5 décembre 2012

Oxymores socialistes


"C'est vers le financier gaspilleur, vers le bourgeois taquin et avare que va, de siècle en siècle, la richesse des champs, des vignes et des bois." regrettait Jean Jaurès en Juillet 1897,  évoquant l’urgence d’une union entre les différentes tendances du parti afin de faire du socialisme la réponse à ce phénomène inévitable dans toute société capitaliste : la lutte des classes. S’il revenait,  il ne manquerait pas de s’étonner de la manière dont se noue l’entente actuelle entre patronat et syndicats, alors que ceux-ci sont plongés dans des négociations censées aboutir à une nouvelle réforme de l’emploi. Des négociations qui se font autour du terme inquiétant de « flexi-sécurité ».

Comme il semble loin, ce combat, en ces temps bénis où le gouvernement socialiste pense avoir trouvé la réponse historique a des dizaines d’années d’opposition entre ceux qui détiennent les moyens de production, et ceux qui fournissent la force de travail indispensable à leur fonctionnement ! Finies les chamailleries, finies les longues disputes trop peu constructives : aujourd’hui, en pleine dynamique austéritaire, c’est avec la bienveillance la plus touchante et la plus désintéressée que le gouvernement prétend faire marcher main dans la main patronat et syndicats, vers une « stratégie gagnant-gagnant » destinée à « sécuriser » l’emploi.

Après ces dix-huit mois pendant lesquels le chômage a explosé, on ne pouvait en effet que tomber d’accord sur ce point : il était urgent de réinventer, de réorganiser le monde du travail. Et naïfs que nous sommes, nous nous prenions à rêver d’un CDI qui redeviendrait la norme, de la conversion des emplois précaires en emplois stables et sécurisés, de nouveaux droits pour les salariés et les comités d’entreprises, d’une allocation de recherche du premier emploi qui permettrait une insertion plus sûre…
Mais nous ne savions pas alors que nous avions affaire à un socialisme qui innove, et pour qui toutes ses revendications semblant aujourd’hui si urgentes ne sont que peu de choses face à cet élan neuf qui l’anime ! Bien décidé à redynamiser le marché du travail, le gouvernement s’est donc jeté, entre autres, dans une réactualisation hasardeuse des emplois-jeunes Jospin, donnant vie aux « emplois d’avenir », contrats destinés à des jeunes peu ou pas du tout qualifiés ayant entre 16 et 25 ans.  

C’est avec surprise que nous avons découvert ces emplois hybrides, qui étaient, selon les mots enthousiastes de Michel Sapin, le Ministre du Travail, l’occasion pour plus de 400000 jeunes désespérés de trouver de « vrais boulots en contrat à durée indéterminée pendant une durée suffisante entre 1 et 3 ans ». Si on peut être tenté de mettre cette étrange description sur le compte d’un lapsus des plus innocents, il serait hélas peu avisé d’entretenir l’illusion quant à la nature réelle du projet gouvernemental: ce qu’ils appellent des CDD éventuellement renouvelables au bout d’un an, ne sont autres que des « emplois précaires de longue durée ».

S’il n’y avait que  cette nouvelle forme de contrats pour venir marginaliser encore un peu plus un CDI censé être la règle mais devenant peu à peu l’exception (80% des embauches se faisant déjà actuellement en CDD), on pourrait peut-être parler de mesure maladroite. Mais force est de constater qu’elle vient s’ajouter à de nombreuses autres initiatives du parti socialiste qui semble vouloir, lui aussi, apporter son coup de maillet à l’entreprise de démolition du CDI déjà bien entamée par l’alliance UMP-MEDEF il y a peu.

C’est en effet porté par cet espoir suspect de mettre en place une stratégie « gagnant-gagnant », comme on l’a dit, que le gouvernement encourage plus que vivement les négociations autour de la sécurisation de l’emploi, laissant le patronat théoriser le concept de « peur d’embaucher », au nom duquel il faudrait instaurer plus de flexibilité. Ainsi, selon les textes soumis par le MEDEF au sein de la discussion actuelle sur la réforme du marché du travail, il serait nécessaire de : « dédramatiser le licenciement » (en facilitant les procédures que sous-entend ce dernier au sein de l’entreprise, et en plafonnant les indemnités de licenciement), rallonger les périodes d’essai,  généraliser les contrats de projets,  et les contrats à durée indéterminée intermittents (histoire de mettre ce bon vieux CDI derrière nous une fois pour toute !), d’encourager le chantage à l’emploi à travers la multiplication des accords dits de « compétitivité emploi »…

Bref, la messe est dite, et il est inutile de continuer la liste. Aujourd’hui, le socialisme a mis un drôle de masque : celui d’un gouvernement qui, sous prétexte de chercher le compromis, permet au MEDEF de grignoter encore un peu plus les acquis des salariés, et regarde le patronat mettre au cœur du débat une série de mesures régressives, tout en demandant aux syndicats de signer un accord qui promet destruction du CDI et précarisation grandissante de l’emploi. Pensée toute entière autour de l’idée erronée selon laquelle les angoisses et les exigences légitimes de travailleurs, qui ont de plus en plus de mal à trouver  une certaine sécurité dans le monde du travail, sont un « frein à l’embauche » qu’il est impératif d’ignorer pour « relancer l’économie », la discussion en cours depuis Octobre n’a aucune chance d’aboutir à quoique ce soit qui ressemble de près ou de loin à une avancée sociale. Ou à un quelconque changement. 





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