I' faith of the chameleon's dish: I eat the air...
"Je me nourris du plat du caméléon: je mange de l'air et je me bourre de promesses". Et quand je sens venir l'aérophagie, c'est ici que je viens digérer!
vendredi 27 janvier 2017
dimanche 1 septembre 2013
Billet furtif
Je n'aimais ni les
moules, ni les huîtres, cramponnées à leur rocher comme si elles
n'avaient connu que lui, et ne voulaient pas en connaître d'autre.
Je n'aimais ni l'eau qui stagne, ni le ploc-ploc régulier des
robinets qui fuient. Poèmes sans attraits, déclarations sans
surprises, lignes et pointillés d'une constance indolente, monde
maniaque de l'immobile.
Il
n'y avait que la fuite qui vaille. Courir partout, n'importe comment,
les pieds pleurant, crachant sur l'ardoise, mais courir loin. Revenir
sur ses pas, c'était rester. C'était ne jamais partir.
Et
partir... C'était prévoir, prévenir. Choisir. Sauver ce qui
pouvait l'être. Recommencer.
D'éternité,
il n'en n'existe que dans la fuite, le reste est périssable ou nous
use à la longue. Mais sans stigmates, sans les baisers tièdes que
le temps nous donne, que reste-t-il pour nous promettre qu'on a vécu?
Une pierre qui roule à
l'aveugle ne sait jamais si c'est par lâcheté, par amour ou par
folie qu'elle bat un jour des cils. Elle s'étonne simplement que ce
qu'elle voit ensuite suffise à la persuader de rester.
samedi 11 mai 2013
Assise par terre
"But you only miss the sun when it starts to snow,
only hate the road when you’re missing home."
C’est la rue et le trottoir,
entre deux boîtes de pizza, l’alcool qui chante d’une voix grave sa joie d’avoir
été bue, encore. Des mecs qui shootent dans les sacs poubelles, un punk à chien
qui passe sans les voir, et toi sur le pavé qui compte les mégots, ribambelle
de mikados tirés par un joueur très mauvais. Il pleut et le caniveau vomit ces
visages noyés que tu pensais oubliés. Ce soir, l’eau peut être livide. Elle
peut se boursoufler, couler sur tes bottes, incruster tes semelles de souvenirs
liquides : tu ne sens rien et il ne fait pas froid.
On n’est pas las à vingt ans. A vingt ans, on a le cœur bourré
d’ivresses et on apprend à ne plus attendre l’aube. Peut être qu’on sait même,
inconsciemment, combien hier c’est loin.
Mais il était 3h et il n’y avait
plus d’étoiles, alors tu t’es quand même remise à attendre. Et tu as attendu,
jusqu’à ce que le vent et ses mots ne soient plus si doux sur ta joue. Jusqu’à
ce que toutes les lumières grésillent, jusqu’à ce qu’elle revienne, te prenne
pas l’épaule, et te dise « on y va ». Alors tu l’as ramenée, comme si
tu savais, comme si tu étais sûre, comme si tu marchais droit. Comme s’il ne
flottait pas encore, là-bas, cette petite photo le long du trottoir.
mercredi 5 décembre 2012
Oxymores socialistes
"C'est vers le financier gaspilleur, vers le bourgeois taquin et
avare que va, de siècle en siècle, la richesse des champs, des vignes et des
bois." regrettait Jean Jaurès en Juillet 1897, évoquant l’urgence d’une union entre les
différentes tendances du parti afin de faire du socialisme la réponse à ce
phénomène inévitable dans toute société capitaliste : la lutte des
classes. S’il revenait, il ne manquerait
pas de s’étonner de la manière dont se noue l’entente actuelle entre patronat
et syndicats, alors que ceux-ci sont plongés dans des négociations censées
aboutir à une nouvelle réforme de l’emploi. Des négociations qui se font autour
du terme inquiétant de « flexi-sécurité ».
Comme il semble loin, ce combat,
en ces temps bénis où le gouvernement socialiste pense avoir trouvé la réponse
historique a des dizaines d’années d’opposition entre ceux qui détiennent les
moyens de production, et ceux qui fournissent la force de travail indispensable
à leur fonctionnement ! Finies les chamailleries, finies les longues
disputes trop peu constructives : aujourd’hui, en pleine dynamique
austéritaire, c’est avec la bienveillance la plus touchante et la plus
désintéressée que le gouvernement prétend faire marcher main dans la main
patronat et syndicats, vers une « stratégie gagnant-gagnant » destinée
à « sécuriser » l’emploi.
Après ces dix-huit mois pendant
lesquels le chômage a explosé, on ne pouvait en effet que tomber d’accord sur
ce point : il était urgent de réinventer, de réorganiser le monde du travail.
Et naïfs que nous sommes, nous nous prenions à rêver d’un CDI qui redeviendrait
la norme, de la conversion des emplois précaires en emplois stables et
sécurisés, de nouveaux droits pour les salariés et les comités d’entreprises, d’une
allocation de recherche du premier emploi qui permettrait une insertion plus
sûre…
Mais nous ne savions pas alors
que nous avions affaire à un socialisme qui innove, et pour qui toutes ses
revendications semblant aujourd’hui si urgentes ne sont que peu de choses face
à cet élan neuf qui l’anime ! Bien décidé à redynamiser le marché du
travail, le gouvernement s’est donc jeté, entre autres, dans une
réactualisation hasardeuse des emplois-jeunes Jospin, donnant vie aux
« emplois d’avenir », contrats destinés à des jeunes peu ou pas du
tout qualifiés ayant entre 16 et 25 ans.
C’est avec surprise que nous
avons découvert ces emplois hybrides, qui étaient, selon les mots enthousiastes
de Michel Sapin, le Ministre du Travail, l’occasion pour plus de 400000 jeunes
désespérés de trouver de « vrais boulots en contrat à durée indéterminée
pendant une durée suffisante entre 1 et 3 ans ». Si on peut être tenté de
mettre cette étrange description sur le compte d’un lapsus des plus innocents, il
serait hélas peu avisé d’entretenir l’illusion quant à la nature réelle du projet gouvernemental:
ce qu’ils appellent des CDD éventuellement renouvelables au bout d’un an, ne
sont autres que des « emplois précaires de longue durée ».
S’il n’y avait que cette
nouvelle forme de contrats pour venir marginaliser encore un peu plus un CDI censé
être la règle mais devenant peu à peu l’exception (80% des embauches se faisant
déjà actuellement en CDD), on pourrait peut-être parler de mesure maladroite.
Mais force est de constater qu’elle vient s’ajouter à de nombreuses autres
initiatives du parti socialiste qui semble vouloir, lui aussi, apporter son
coup de maillet à l’entreprise de démolition du CDI déjà bien entamée par
l’alliance UMP-MEDEF il y a peu.
C’est en effet porté par cet
espoir suspect de mettre en place une stratégie « gagnant-gagnant »,
comme on l’a dit, que le gouvernement encourage plus que vivement les
négociations autour de la sécurisation de l’emploi, laissant le patronat
théoriser le concept de « peur d’embaucher », au nom duquel il
faudrait instaurer plus de flexibilité. Ainsi, selon les textes soumis par le
MEDEF au sein de la discussion actuelle sur la réforme du marché du travail, il
serait nécessaire de : « dédramatiser le licenciement » (en
facilitant les procédures que sous-entend ce dernier au sein de l’entreprise,
et en plafonnant les indemnités de licenciement), rallonger les périodes
d’essai, généraliser les contrats de
projets, et les contrats à durée
indéterminée intermittents (histoire de mettre ce bon vieux CDI derrière nous
une fois pour toute !), d’encourager le chantage à l’emploi à travers la
multiplication des accords dits de « compétitivité emploi »…
Bref, la messe est dite, et il
est inutile de continuer la liste. Aujourd’hui, le socialisme a mis un drôle de
masque : celui d’un gouvernement qui, sous prétexte de chercher le
compromis, permet au MEDEF de grignoter encore un peu plus les acquis des
salariés, et regarde le patronat mettre au cœur du débat une série de mesures
régressives, tout en demandant aux syndicats de signer un accord qui promet
destruction du CDI et précarisation grandissante de l’emploi. Pensée toute
entière autour de l’idée erronée selon laquelle les angoisses et les exigences
légitimes de travailleurs, qui ont de plus en plus de mal à trouver une certaine sécurité dans le monde du
travail, sont un « frein à l’embauche » qu’il est impératif d’ignorer
pour « relancer l’économie », la discussion en cours depuis Octobre
n’a aucune chance d’aboutir à quoique ce soit qui ressemble de près ou de loin
à une avancée sociale. Ou à un quelconque changement.
dimanche 28 octobre 2012
Il était fou et les autres aussi.
( En 2009, on nous emmenait en Pologne pour un projet de classe sur la Shoah. Au retour, nous devions réaliser un exposé-photos ou un poème à envoyer aux associations qui avaient financé notre séjour.
Je n'ai réussi à faire ni l'un ni l'autre. Mais j'ai écrit ça, simplement parce que c'est comme ça que je l'ai vécu, sur le moment. Et parce qu'au retour, mes rêves empestaient et faisaient ce drôle de bruit.)
J’avais neuf ans quand j’ai
entendu le mot « Shoah » pour la première fois. Jusque-là, je savais qu’il y
avait eu des guerres mondiales, et des cadavres. Je m’étais dit que c’était
triste, horrible, j’en voulais aux bombardements, au hasard et à la mort qui ne
choisissait pas ses victimes.
Je ne savais pas encore qu’on avait choisi pour
elle.
Il avait une coiffure ridicule,
des sourcils froncés, et il était petit. Il avait écrit un livre, « Mein Kampf
», pendant qu’il était en prison et l’avait signé « Adolf Hitler ». Sur les
photos, je lui prêtais un air mélancolique et je lui demandais « Mais qu’est ce
qui t’as rendu comme ça ? ». J’étais petite et déjà je compatissais, accordant
un pardon sur lequel je n’avais aucun droit, maudissant la société et les
hommes qui avaient laissé le petit Adolf prendre le mauvais chemin, l’avaient
meurtri, puis l’avaient regardé s’égarer sans jamais lui dire que ce qu’il
faisait était mal, qu’il valait mieux que ça. Surement.
Les lois de Nuremberg, les
discriminations, les camps de concentration et d’extermination, l’étoile jaune,
les chambres à gaz. Autant d’horreurs découvertes au détour d’un livre
d’histoire, autant de coups portés à mes théories et à ma grande certitude «
personne n’est foncièrement méchant ». J’ai pleuré sans comprendre : comment
une si grande haine pouvait-elle loger dans un si petit homme ?
Que lui avaient fait les milliers
d’inconnus qu’il excluait et jugeait sans connaître ? A quoi pensait-il le
soir, la tête sur l’oreiller, quand tant dormaient dans des caves ou des baraques
insalubres par sa faute ?
Etait-il fier ?
J’ai appris les mots «
frustrations personnelles », « avidité », « soif de pouvoir », « espace
vital » en même temps que j’ai réalisé qu’il n’avait pas été le seul. Ils
ont été nombreux a rallié sa cause au fil de ses discours d’illuminé, le
poussant, l’encourageant, l’appuyant, le secondant, lui obéissant. Nombreux à
haïr des hommes et des femmes qui partageaient leur Histoire. Des hommes et des
femmes à la place desquels ils auraient pu être s’ils avaient eu moins de… chance
?
La chance. C’est à ce pauvre
espoir qu’ont du se raccrocher les victimes de ces fous. La chance de ne pas
être celui que le kapo fusille ce matin. La chance d’avoir trouvé un bout de pain
pour ajouter de la consistance à l’eau qu’ils appellent « soupe ». La chance
d’avoir un voisin qui connaît un homme prêt à faire passer les enfants en zone
libre. La chance qui fait couler des larmes sur les joues des rescapés parce
qu’ils ont vu. Six millions de malchanceux assassinés de la main du nazisme.
Chaque pas dans les allées de
Birkenau est un souvenir, une question de plus que je piétine. Les miradors
hilares se moquent : « naïve ! ». Ils me font peur, les rails et les briques
rouges des chambres à gaz aussi. Je pensais être prête, après avoir tellement
lu, vu sur le sujet. « Naïve ! ». Comment peut-on être prête pour ça ? J’étais
venue pour comprendre, et je réalise qu’on ne comprend pas la Shoah. On
l’explique, mais on ne la comprend pas.
Il a neigé et ça glisse. Une
patinoire qui nous aurait tous fait rire, ailleurs, loin. Là, le blanc du camp
promet un vide qui n’est qu’illusion. Chaque baraque me semble bruyante, l’air grouille,
et je crois avoir vu remuer quelque chose sous la surface gelée de ce lac que
la guide dit plein de cendres. Les fantômes n’existent pas, mais les ombres du
camp ne sont pas toutes parties.
A Auschwitz III, elles ont des
visages, et des yeux innombrables qui regardent depuis les murs d’une de ces
maisons où dormaient les officiers nazis. Vieillards, enfants, bébés, hommes,
femmes… Ils sont dignes devant l’objectif, mais ils doutent, cela se lit dans
les moues lasses, les regards défiants, les rares sourires. Plus tard, devant
les milliers de boîtes de Zyklon B entassées derrière les vitrines, on ne peut
que se dire qu’ils avaient raison de douter, même s’ils n’osaient croire en
l’inimaginable. Ils ne pouvaient pas deviner que ça serait pire.
Après les montagnes de cheveux,
de lunettes, de valises et de prothèses, je n’ai plus rien vu.
Combien de fillettes avaient
pleuré leurs couettes, combien de jambes avaient pris appui sur ces bouts de
bois, combien de gens s’étaient dit qu’ils partaient seulement pour un petit moment,
allaient revenir… J’étais sonnée, en rage qu’ « on » ait fait ça, qu’ «on » ait
laissé faire ça, je me harcelais à coups de « est-ce que j’aurais résisté? »,
je marchais, et je me répétais qu’il ne fallait jamais, jamais plus croire en
l’Homme parce qu’il était le seul animal capable de se transformer en monstre.
De retour dehors, l’inscription «
ARBEIT MACHT FREI » me nargue. Je la hais, je hais le sadisme organisé qui
suinte de tout ce qui m’entoure, je veux partir. Les oiseaux chantent et je
fais un bond. Pendant quelques heures, j’avais oublié qu’ils existaient. Il
faut leur dire, leur dire qu’on ne chante pas à Auschwitz.
Mais je n’ai pas le cœur de faire
ça, ils m’ont ramené le présent. Un présent traumatisé par la machinerie nazie.
Un présent marqué de centaines de vœux, de milliers de combats, de millions de
voix. Un présent qui reconstruit, panse et toujours, se bat contre l’oubli, contre
l’instrumentalisation de ces mémoires, de ces yeux qui n’ont pas fui devant
l’objectif. Surtout, un présent qui sait : l’Homme est le seul espoir de
l’Homme.
Il faut leur dire.
mardi 16 octobre 2012
M. T
En seconde, il était assis à côté
de moi en anglais. Il travaillait beaucoup, sans doute trop, et regardait les
annotations rouges sur mes copies avec un dédain tranquille. Les siennes
étaient vertes, toutes vertes et pourtant si propres. Je me demandais s’il les
encadrait.
Nous n’étions d’accord sur rien.
Il me racontait la messe, je lui parlais d’opium. Il me disait son amour de la
« patrie », je lui disais l’amour des gens. Il pensait que beaucoup
ne le méritaient pas. Il parlait de « ceux qui en profitent ».
Je boudais ses certitudes, sans
arriver à le détester. Il avait encore ce rire franc, ces pommettes d’enfant
qu’on embrasse, et dont on loue l’élasticité. On lui faisait confiance pour ses
yeux qui n’auraient jamais laissé tomber personne.
Il m’avait parlé des deux rêves
qui lui tenaient le plus à cœur. L’uniforme et la musique. Il savait que je
n’en partageais qu’un seul. Je priais, comme jamais, pour qu’il soit pris au
conservatoire, pour qu’il oublie le reste. S’il voulait tellement être soumis à
une quelconque forme d’autorité, je préférais qu’il se fasse recadrer par son
prof de solfège ou de clarinette.
Et puis je pensais que « le
milieu de la musique » le changerait. Parce qu’il devait changer bien sûr.
Il ne pouvait pas rester si loin du monde, perché sur de fausses valeurs, à
louer un maréchal qu’il admirait pour son service exemplaire dans l’armée,
quand d’autres le condamnaient pour crime contre l’humanité.
Mais la photo date d’hier. Le crâne presqu’entièrement rasé,
il sert un képi sur son cœur, genou à terre. Les yeux fixes et le front
sérieux, il lève haut son sabre, dans un hommage qu’il ne prend pas à la
légère.
Sa famille, ses amis commentent
la photo et le félicitent. On loue sa prestance, son allure, et on lui promet
une carrière aux nombreux galons. Modeste, il répond tout de même sa fierté. Il
essaiera.
Il n’a jamais changé d’histoire
d’amour. Il a travaillé, toujours aussi dur, pour en arriver là, parmi ceux qui
arborent les mêmes couleurs que lui, et le même froncement de sourcils. Il
remplira son rôle, il sera toujours cet officier modèle, qui obéit bien
sagement. Il n’est pas du genre à contredire un ordre, c’est une question de
respect. Et si un jour il sent qu’il devrait, il ne le fera pas, parce que ce
n’est pas ce qu’il doit.
Mes mots n’ont pas vraiment de
sens ce soir. J’ignore au juste, qui il est exactement, aujourd’hui. Je sais
simplement ce qu’il ne sera pas. Je sais qu’il n’a jamais changé, et qu’il a
gardé les mêmes idoles. Je sais que nous n’aurions plus rien à nous dire. Que
nous n’avons peut-être jamais rien eu à nous dire.
Mais toujours, je regretterai ses
pommettes.
samedi 8 septembre 2012
Contribution au journal "Le peuple citoyen" du PG de la Vienne, Septembre
Vivriez-vous de la même façon si
vous vous saviez « ombres » ? Si vous vous saviez destinés à
n’être qu’un bras droit détaché du corps ? Si tout d’un coup on décidait de nier
votre place dans l’Histoire ?
Ces questions, les tunisiennes se
les sont posées sans cesse depuis le 1er Août. Ce jour-là
l’Assemblée Nationale Constituante -élue par le peuple qui souhaitait la voir,
en un an, poser les bases d’une Constitution prenant en compte les
revendications soulevées par le printemps arabe- a adopté un texte qui comporte
un projet d’article alarmant : « L’Etat assure la protection des
droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec
l’homme au sein de la famille et en tant qu’associée de l’homme dans le
développement de sa patrie ».
« Complémentarité »,
« associée ». Deux mots qui forcent l’été à faire écho au printemps, poussent
dans la rue des milliers de femmes, et inquiètent les organisations des droits
de l’homme : 56 ans après la promulgation du Code de Statut Personnel en
Tunisie, qui fixe l’égalité des sexes dans de nombreux domaines et reste
jusqu’ici sans équivalent dans le monde arabe, on remet en cause le rôle citoyen de la femme?
Car c’est bien de cela qu’il
s’agit, et les allées de Tunis ne criaient pas sans raisons le 13 Août et la
semaine dernière. Que le parti islamiste en place, Ennahdha, choisisse
d’employer le terme anthropologique de « complémentarité », plutôt
que celui, politique, d’ «égalité », souligne sa volonté de ramener la
femme à son genre, de la poser comme pion d’une logique patriarcale, et de nier
son action autonome au sein de la société. Ce mot, dont le sens est encore plus
fort en réalité puisque ce qu’on a traduit en français par
« complémentarité » équivaut à « annexé à » en arabe, n’est
pas une simple erreur de vocabulaire, et la réaction qui l’a suivi n’est pas,
comme on l’a prétendu, le résultat de « confusion », de
« provocation », et d’ « exagération ». Ce mot
représente la femme tunisienne telle qu’on souhaiterait la voir au 21ème siècle :
entièrement dépendante de son père, de son frère, de son mari.
Que dire alors, des visages qui
brandissent les pancartes « Jebali (chef du Parti « Ennahdha »),
dehors ! » ? Ce sont ceux de femmes qui ont compris qu’on
remettait ici en question une liberté qu’il leur avait été si difficile
d’obtenir. Ceux de femmes à qui on ne pourra pas enlever le droit de penser et
d’agir par elles-mêmes. Et ce sont ceux, souvent, qui étaient en première ligne
en Décembre 2010 et pendant le mouvement révolutionnaire qui a touché le monde
arabe.
Et leur colère ne saurait rester
sans suite : elle est aujourd’hui l’un des piliers fondateurs de l’élan républicain
qui éclot en Tunisie, où l’on se lasse d’un gouvernement provisoire qui semble
vouloir prolonger son mandat, qui va à contre-courant des acquis modernes, et
multiplie les attaques à l’encontre de la liberté de la presse et de
l’indépendance des juges. A nous de comprendre et de soutenir leur lutte, de
les aider à montrer qu’on n’étouffe pas une révolution par une cécité de façade.
Aidons les à montrer, surtout, que les voix du peuple, les seules qui soient
légitimes, jamais ne s’éraillent.
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