En seconde, il était assis à côté
de moi en anglais. Il travaillait beaucoup, sans doute trop, et regardait les
annotations rouges sur mes copies avec un dédain tranquille. Les siennes
étaient vertes, toutes vertes et pourtant si propres. Je me demandais s’il les
encadrait.
Nous n’étions d’accord sur rien.
Il me racontait la messe, je lui parlais d’opium. Il me disait son amour de la
« patrie », je lui disais l’amour des gens. Il pensait que beaucoup
ne le méritaient pas. Il parlait de « ceux qui en profitent ».
Je boudais ses certitudes, sans
arriver à le détester. Il avait encore ce rire franc, ces pommettes d’enfant
qu’on embrasse, et dont on loue l’élasticité. On lui faisait confiance pour ses
yeux qui n’auraient jamais laissé tomber personne.
Il m’avait parlé des deux rêves
qui lui tenaient le plus à cœur. L’uniforme et la musique. Il savait que je
n’en partageais qu’un seul. Je priais, comme jamais, pour qu’il soit pris au
conservatoire, pour qu’il oublie le reste. S’il voulait tellement être soumis à
une quelconque forme d’autorité, je préférais qu’il se fasse recadrer par son
prof de solfège ou de clarinette.
Et puis je pensais que « le
milieu de la musique » le changerait. Parce qu’il devait changer bien sûr.
Il ne pouvait pas rester si loin du monde, perché sur de fausses valeurs, à
louer un maréchal qu’il admirait pour son service exemplaire dans l’armée,
quand d’autres le condamnaient pour crime contre l’humanité.
Mais la photo date d’hier. Le crâne presqu’entièrement rasé,
il sert un képi sur son cœur, genou à terre. Les yeux fixes et le front
sérieux, il lève haut son sabre, dans un hommage qu’il ne prend pas à la
légère.
Sa famille, ses amis commentent
la photo et le félicitent. On loue sa prestance, son allure, et on lui promet
une carrière aux nombreux galons. Modeste, il répond tout de même sa fierté. Il
essaiera.
Il n’a jamais changé d’histoire
d’amour. Il a travaillé, toujours aussi dur, pour en arriver là, parmi ceux qui
arborent les mêmes couleurs que lui, et le même froncement de sourcils. Il
remplira son rôle, il sera toujours cet officier modèle, qui obéit bien
sagement. Il n’est pas du genre à contredire un ordre, c’est une question de
respect. Et si un jour il sent qu’il devrait, il ne le fera pas, parce que ce
n’est pas ce qu’il doit.
Mes mots n’ont pas vraiment de
sens ce soir. J’ignore au juste, qui il est exactement, aujourd’hui. Je sais
simplement ce qu’il ne sera pas. Je sais qu’il n’a jamais changé, et qu’il a
gardé les mêmes idoles. Je sais que nous n’aurions plus rien à nous dire. Que
nous n’avons peut-être jamais rien eu à nous dire.
Mais toujours, je regretterai ses
pommettes.
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