samedi 8 septembre 2012

Contribution au journal "Le peuple citoyen" du PG de la Vienne, Septembre




Vivriez-vous de la même façon si vous vous saviez « ombres » ? Si vous vous saviez destinés à n’être qu’un bras droit détaché du corps ? Si tout d’un coup on décidait de nier votre place dans l’Histoire ?

Ces questions, les tunisiennes se les sont posées sans cesse depuis le 1er Août. Ce jour-là l’Assemblée Nationale Constituante -élue par le peuple qui souhaitait la voir, en un an, poser les bases d’une Constitution prenant en compte les revendications soulevées par le printemps arabe- a adopté un texte qui comporte un projet d’article alarmant : « L’Etat assure la protection des droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille et en tant qu’associée de l’homme dans le développement de sa patrie ».

« Complémentarité », « associée ». Deux mots qui forcent l’été à faire écho au printemps, poussent dans la rue des milliers de femmes, et inquiètent les organisations des droits de l’homme : 56 ans après la promulgation du Code de Statut Personnel en Tunisie, qui fixe l’égalité des sexes dans de nombreux domaines et reste jusqu’ici sans équivalent dans le monde arabe,  on remet en cause le rôle citoyen de la femme?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et les allées de Tunis ne criaient pas sans raisons le 13 Août et la semaine dernière. Que le parti islamiste en place, Ennahdha, choisisse d’employer le terme anthropologique de « complémentarité », plutôt que celui, politique, d’ «égalité », souligne sa volonté de ramener la femme à son genre, de la poser comme pion d’une logique patriarcale, et de nier son action autonome au sein de la société. Ce mot, dont le sens est encore plus fort en réalité puisque ce qu’on a traduit en français par « complémentarité » équivaut à « annexé à » en arabe, n’est pas une simple erreur de vocabulaire, et la réaction qui l’a suivi n’est pas, comme on l’a prétendu, le résultat de « confusion », de « provocation », et d’ « exagération ». Ce mot représente la femme tunisienne telle qu’on souhaiterait la voir au 21ème siècle : entièrement dépendante de son père, de son frère, de son mari.

Que dire alors, des visages qui brandissent les pancartes « Jebali (chef du Parti « Ennahdha »), dehors ! » ? Ce sont ceux de femmes qui ont compris qu’on remettait ici en question une liberté qu’il leur avait été si difficile d’obtenir. Ceux de femmes à qui on ne pourra pas enlever le droit de penser et d’agir par elles-mêmes. Et ce sont ceux, souvent, qui étaient en première ligne en Décembre 2010 et pendant le mouvement révolutionnaire qui a touché le monde arabe.

Et leur colère ne saurait rester sans suite : elle est aujourd’hui l’un des piliers fondateurs de l’élan républicain qui éclot en Tunisie, où l’on se lasse d’un gouvernement provisoire qui semble vouloir prolonger son mandat, qui va à contre-courant des acquis modernes, et multiplie les attaques à l’encontre de la liberté de la presse et de l’indépendance des juges. A nous de comprendre et de soutenir leur lutte, de les aider à montrer qu’on n’étouffe pas une révolution par une cécité de façade. Aidons les à montrer, surtout, que les voix du peuple, les seules qui soient légitimes, jamais ne s’éraillent.


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