mercredi 15 août 2012

Esquisse


Tu l’as crue fragile. Elle t’a dit « vous êtes en retard », et tu l’as crue. Comme si, floue, elle n’avait qu’à passer devant toi pour que tu la suives, comme si c’était tes pas, et les siens, dans les mêmes ombres depuis le début. Tu ne savais pas, toi, que tu l’étais tellement plus qu’elle. Fragile.

Elle tremble et sa fébrilité te gagne. Silencieuse, elle habille la nuit d’une robe du même noir, sans fond. Elle n’a pas un regard pour ta course, pas un regard pour le vent qu’elle double, elle se fait onde et s’enroule autour des branches qui s’écartent pour la laisser passer. Quand les portes de château claquent derrière vous, tu ne réagis pas. Elle s’est retournée.
Si tu pouvais encore parler, tu hurlerais. Mais tout, dans la pièce, est aphone. Le parquet que tu foules grimace sans grincer, les murs, complices, te narguent sans rien dire. Elle-même se tait, et peut-être ne t’a-t-elle jamais invitée à la suivre. Tu ne te l’expliques pas, mais elle n’a pas de bouche. Pas de nez. Son front lisse, translucide, pose sur toi le regard  de l’abîme : sa tête est une bille. Une bille de verre.

Là où il y en avait une, il n’y a plus de porte. Tu ne peux que te lancer à la poursuite de son rire, seul écho ricochant dans un silence qui prend toute la place. Le vieil escalier, que vos pas feutrés meurtrissent, colle à tes bottes, comme s’il finissait de digérer la moquette délavée. Quand tu t’arraches à cette succion écœurante, c’est un couloir qui te crache ses quelques dizaines de porte au visage. Et toujours, devant toi, elle danse plus qu’elle ne court, sans un écart incertain, sans qu’un seul de ses gestes ne vienne rompre le sens de sa fuite. Tu ne sais pas encore si tu peux te fier à la minutie de chacun de ses souffles. 

 

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