dimanche 11 mars 2012

S.V.P

 Trois lettres : devant lui, la pancarte est petite. Il regarde les converses et les bottes se disputer le trottoir. Son regard dit le doute et le vide, ses lèvres fixent le sol. J’ai envie de lui demander où il dormira ce soir. Ce qu’il mangera. Mais j’ose pas, j’ai peur. Peur qu’il me réponde l’évidence : il ne sait pas, son quotidien est suspendu au geste d’un passant ouvrant son portefeuille. Sa vie dépend de trois malheureuses lettres au marqueur noir.
En fait, il ne dirait sans doute rien du tout. Je suis une de celle qui ne savent pas, qui n’ont jamais posé les fesses sur les pavés buble-gumés et tendu la main, qui n’ont aucune idée de combien c’est dur de rester assises, là, comme ça. Alors comment je pourrais comprendre ? Une petite fille tire sur le bras de sa mère. « Maman, pourquoi il est assis par terre le monsieur ?
«  Parce qu’il n’a pas assez travaillé à l’école ma puce. »Elle lui a répondu ça, la dame aux sacs Printemps. La quarantaine, sans même l’excuse minable de s’être aigrie avec le temps. Elle lui a dit ça. Au XXIe siècle. Je l’aurais bien étouffée avec ses achats. J’aurais bien rattrapé sa gamine pour lui expliquer. Lui dire combien c’est difficile de trouver du travail dans notre société actuelle, qu’on ait en poche un CAP ou un Bac +7.  Lui raconter les licenciements, les usines qui ferment, le chômage. Elle m’aurait regardé et elle aurait pleuré. Parce que ce n’est pas comme ça le monde dans les histoires que lui raconte sa maman chaque soir. Elle aurait pleuré et je m’en serais voulu d’avoir cassé ses rêves de princesse et de châteaux au loyer inexistant. C’est pas sa faute à elle, cette petite fille de 6-7 ans si le monsieur du trottoir il ne rêve plus lui. C’est pas sa faute à elle si sa mère fait partie de ces gens qui achètent un antirides à vingt euros et ne donnent même pas dix centimes à ceux qui méritent largement plus cet argent qu’elle. Alors j’ai rien dit. À cause de tout ça. Et puis pas assez de cran aussi. Je me suis approchée du SDF et de sa casquette posée devant lui. Là, j’ai compris combien valait la générosité de tous ces passants pressés. 20 centimes.20 centimes et des regards de pitié, des moues dédaigneuses, des réflexions acerbes, et des « Tsss, Tsss » indignés. 20 centimes de la part de ces gens qui ce soir se coucheront tranquillement sous leur couette douillette, bien au chaud. 20 centimes de la part de ces gens qui apprennent à leurs enfants à ignorer ces « incapables » qui dormiront dans un duvet sale cette nuit. 20 centimes pour faire d’un être humain un élément du décor.                                                             
                              

1 commentaire:

  1. Tu sais, là, certes il s'agit d'un SDF (quel magnifique euphémisme...), mais ce mépris (ou l'indifférence) existe aussi entre les autres classes au sein de la société.
    Je lisais un article sur le Monde Diplo (que j't'avais mis en cc sur Twitter) qui posait la question de la laïcisation des esprits. En gros, faut se sacrifier/souffrir pour réussir. La notion même de travail reste dans ce registre (le fameux tripalium). Du moins l'idée restez ancrée chez pas mal de monde, et les austéritaires de l'exrême-centre nous gavent avec ça pour faire imposer tranquillement leurs plans de régression.
    L'organisation néolibérale empêche de poser la réflexion quand au rapport au travail et celui aux autres, et de toute façon, pour les années qui viennent ils veulent nous forcer à la compétition acharnée même s'il n'y a rien au bout.
    Ca me frappe de voir qu'à la fac ça parle de préparation à la vie professionnelle avec tous ces trucs bidons pour se vendre, cette idée fausse que chacun a sa chance tant qu'il se met en valeur alors que ce sont surtout ceux qui ont un héritage culturel plus important, l'argent, les coups de pistons et tout ça qui sont avantagés.
    Récemment avec le faux retour à la retraite à 60 ans, ils ne diront pas que ceux qui peinent à trouver un emploi, et même ceux qui vont jusqu'à bac+5, bac+8 ou plus, devront cotiser 41 ans. Donc la retraite commencerait effectivement vers 65-70 ans pour la majorité, et dans pas mal de cas, on peut craindre que les pensions seront plus faibles.
    Jusqu'au bout, ils continuent d'exploiter.
    Il reste pas mal de chemin à parcourir avant tout ça change.

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