dimanche 11 mars 2012

En TL on te demande d'écrire un prologue pour Hamlet et tu flippes grave ta race... Mais tu as une excuse pour le relire alors, tu es bêtement, niaisement heureux.

Ne regardez pas si vous avez peur des miroirs. Non, si vous croyez savoir ce que vous êtes, si votre nature optimiste a dans l’Homme une confiance sans bornes, alors hâtez vous : quittez vos sièges et ruez vous sur les portes de sortie ! Une fois dehors, respirez avec délice le parfum de l’innocence, et… Oh, mais déjà il est trop tard. Le rideau se lève. Amis candides, naïfs, calez vous dans vos fauteuils et préparez votre cœur à recevoir le présent que lui fera le lucide Hamlet ce soir même : une vue panoramique du plus noir de la nature humaine. Je vous effraie ? Et pourtant, qui serais-je si je vous laissais dans l’ignorance complète du drame qui se prépare ? Si j’observais, inactif, les points d’interrogation danser sur vos pupilles ? Comment pourrais-je permettre que vous regardiez cette pièce d’un œil léger, ou inattentif faute de mises en garde ou de préparation ? Non, cela ne peut pas être. Alors, amis, je vous en prie, ouvrez vos oreilles comme si elles devaient vous servir de parachute, et écoutez moi.

Tout à l’heure, Hamlet sera mort. Ne souffrez pas pour lui, tel que vous allez le voir, pâle figure fantomatique agitée de soubresauts, il n’y aura guère plus que la vengeance pour le maintenir en vie. Alors ravalez vos larmes, car elles arrivent trop tard  et apprenez. Apprenez comment ce jeune homme s’est vu ravir son innocence par une poignée de ses semblables, avides de pouvoir et dépourvus de conscience. Apprenez comment, avant même d’avoir connu l’amour, il en fut détourné puis dégoûté. Apprenez, enfin, comment il fit de sa « folie » son arme.

Que cette âme tourmentée ait été un jour le fils du roi du Danemark, vous aurez sans doute du mal à le croire. Et pourtant, prince il le fut, et quel prince ! Brillant, réfléchi, de nature heureuse, il aurait été un grand souverain. Il aurait été, mais il ne le sera jamais : la mort mystérieuse de son père ratura son destin et lui porta le premier coup fatal. Le second fut donné par la Reine, quand elle l’entretint de son futur mariage avec son oncle. Le dernier par le spectre de son père lui-même, quand celui-ci apprit à Hamlet que l’oncle en question, qui partageait à présent la couche de sa mère, était le seul à avoir versé les gouttes de poison qui lui avaient figé le sang puis ôté la vie. 

Je vous vois, là, bouches ouvertes, et déjà je sais que certains sont perdus, d’autres fébriles, certains tristes. Pour les uns, rassurez vous et bornez vous à retenir que le poids qui écrasa les omoplates du pauvre Hamlet n’était ni plus ni moins que celui d’un vil fratricide. Pour les autres, apaisez vous, le fils n’aura évidemment de cesse d’avoir vengé le père. Pour ceux qui restent, enfin, je ne peux rien faire : je vous l’ai dit, âmes sensibles, vous sortirez meurtries de cette douche de funestes machinations. Mais il me semble entendre les premières répliques, vite, dépêchons !

Ainsi, vous comprendrez tout à l’heure que la folie d’Hamlet, si folie il y a, a plus d’une raison d’être. Qui parmi-vous, parmi nous, accepterait de voir sa mère au bras du meurtrier de son père? Vos airs fuyants trahissent vos pensées : peu, n’est ce pas ?  Et ce « peu » là le supporterait par couardise. Le sang des autres ne ferait qu’un tour et ne retrouverait son débit normal qu’une fois l’assassin confondu et puni : celui du prince n’est pas différent. Dans quelques secondes vous aurez donc sur scène le cœur d’Hamlet, franchissant ses lèvres en tirades désespérées et cyniques. Ce que vous y lirez ne sera pas chrétien, et, en hommes censés, certains condamneront une impulsivité juvénile. Mais, censé, le prince ne l’est pas -est-on censé quand on aime ?- et il le sera encore moins quand, après avoir échappé à la tentative de son oncle qui voulait l’évincer cette fois définitivement, il apprendra la mort de sa douce Ophélia, seule figure qu’il chérissait encore un tant soit peu en ce monde. 

C’est cet homme brisé, trahi par ses plus vieux amis, responsable de la mort de sa bien aimée, haï par celui qu’il considérait comme son propre frère, et craint par sa mère, que vous verrez se précipiter vers la mort, devant vous, entraînant avec lui le bourreau de son père.
Laurence Olivier dans Hamlet, 1948
Quelle fin voir à tout cela ? Et bien vous y verrez celle qu’il vous plaira, car je parle trop et j’entends les murmures agacés de ceux qui aimeraient se garder quelque suspens pour plus tard. Je vous laisse maintenant : la lumière se fait sur scène et je ne voudrais pas vous faire manquer les premières répliques. Endurez, amis, les souffrances du courageux Hamlet. Conspirez, amis, contre l’odieux Claudius, assassin de son propre frère. Appréciez, amis, le goût d’une vengeance, qui finalement, ne laissera que peu de rescapés. Et sortez, amis, quand vous ne distinguerez plus la scène sous les cadavres.

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